Soutenance de thèse – R. C. SAMPAIO LOPES « Le rococo minhote, l’art dans la province de Braga dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle »

La soutenance de thèse de doctorat d’histoire de l’art de Raul Cristovao Sampaio Lopez, sur le sujet suivant :  » Le Rococo Minhote, l’art dans la province de Braga dans la seconde moitié du XVIIIe siècle » (direction, D. Rabreau) aura lieu le jeudi 11 décembre 2014 à 10h, salle Duroselle (galerie Dumas-Paris 1) à la Sorbonne. Le jury est composé de Laurent Baridon (Univ. de Lyon II), Miguel Figuera de Faria (Univ. Autonome de Lisbonne), Jean-Philippe Garric (Univ. Paris 1) et Daniel Rabreau (Univ. Paris 1).



Résumé de la thèse

L’art de la province de Braga, qu’on appelle traditionnellement le Minho (il correspond grosso modo au nord-ouest portugais), possède déjà une forte et originale présence dans le XVIIIe siècle, qui est un siècle faste pour l’art portugais, grâce au célébrissime Bom Jesus, élaboré pratiquement tout au long du siècle. Ce grand monument cache cependant quelque peu l’existence d’un nombre assez considérable d’oeuvres fortement inspirées par les gravures rocailles parisiennes et augsbourgeoises mais d’une indéniable originalité et d’une remarquable qualité. Robert C. Smith (1912-1975) avait déjà révélé l’importance de deux grands artistes impliqués dans ces ouvrages, l’amateur André Soares (1720-1769) et le moine sculpteur Frère José Vilaça (1731-1809), et ses travaux ont eu des continuateurs, dont le plus persévérant est sans doute Eduardo Pires de Oliveira qui, dans un thèse parallèle à celle-ci, vient de mettre à jour le corpus du premier. Plus largement, la présente thèse se propose d’offrir une vision globale de ce que l’on peut dès lors appeler le rococo minhote.

En effet, le Minho offre un paysage à part, particulièrement verdoyant, dans le cadre du Portugal et l’adaptation de l’homme à ce paysage a donné très tôt une identité ethnographique à une province qui, si elle est clairement identifiée, reste sans existence administrative jusqu’au XIXe siècle et connait un morcellement juridique certain au XVIIIe siècle. Cette identité justifie pour une grande part le bien-fondé de l’adjectif minhote, qui aurait pu sembler anachronique de prime abord.

La province bénéficie d’une relative prospérité de l’agriculture et de l’élevage, d’une part, et des profits apportées par un commerce étendu jusqu’au Brésil, d’autre part. Une certaine frange de la bourgoisie profite de ce dernier pour se hisser à la hauteur de la noblesse et du clergé, les principaux bénéficiaires de la redistribution de cette richesse. Une partie de cette richesse est réinvestie dans des ouvrages artistiques à la gloire de leur détenteur ou, surtout, à celle de la religion. La « capitale » de la région, Braga, est en effet un important centre religieux qui contrôle toutes les décisions en rapport avec les constructions d’églises ou de chapelles d’un vaste diocèse couvrant la majeure partie du Nord du pays et, dans ses faubourgs, se trouve l’église chef d’ordre des bénédictins, particulièrement actifs dans le domaine artistique. Mais c’est un centre incapable d’attirer suffisamment une population nombreuse et disséminée en de multiples paroisses. L’art minhote est donc un art dispersé (et ce jusqu’au-delà de la province même) et cette dispersion explique en partie l’échelle mesurée des oeuvres qui tiennent souvent plus du petit joyaux architectural que de l’exploit monumental.

Mais les circonstances régionales, l’absence d’académies et d’écrits proprement artistiques, l’anonymat apparent de la plupart des oeuvres et l’importance excessive de l’aspect religieux ont parfois amené les historiens à imaginer un art minhote collectif et essentiellement traditionnel alors que l’existence d’un « champ artistique » plus « moderne » peut être vérifiée par la constatation de la présence d’« auteurs » ainsi que de débats, de principes et d’exigences « purement » esthétiques. Singulièrement, les participants de ce « champ », où l’architecture et la talha sont prépondérants et dictent leurs valeurs, peuvent être distingués en trois catégories : les commanditaires, les exécutants (qui sont en fait de véritables virtuoses) et les concepteurs, les plus déterminants créativement parlant.

La difficulté d’identifier ces concepteurs tient à la relative rareté de sources les concernant. Le travail de rapprochement et de distinction formelle entrepris ici, encore lacunaire, ne l’avait pas été avec cette ampleur, à ma connaissance. Les trois artistes principaux restent ceux révélés par l’historiographie : André Soares, Frère José Vilaça et Carlos Amarante (1748-1815), plus connu cependant pour ses ouvrages de tendance classique. L’oeuvre d’André Soares s’en trouve conforté dans sa singularité et sa force. Celle de Frère José Vilaça, par contre, en est quelque peu diminuée, dans son ampleur et dans son rôle historique. Carlos Amarante, avec un oeuvre de goût rococo qu’on ne lui supposait pas si imposant, semble bien avoir le rôle que lui octroie le mémorialiste Inácio José Peixoto (1732-1808), celle du maître le plus important après André Soares.

Une figure tout à fait inattendue émerge, celle du Père António Soares da Silva (1716-1770), pionnier auprès de son frère André. Une autre prend de la consistance, celle d’António da Cunha Correia Vale (actif 1745-1791), qui pourrait bien être l’auteur de deux des ouvrages les plus importants du rococo minhote : la chapelle Malheiro Reimão et, du moins en partie, l’église de Ribeira de Pena, sans parler de cet ouvrage singulier resté inachevé qu’est la façade latérale de l’église de la Misericórdia de Penafiel.

Ces auteurs sont actifs autour de Braga et de Guimarães mais d’autres concepteurs doivent avoir été présents : João de Brito Lima (actif dans les années 1760-1770) et un ou deux maîtres inconnus qu’on parviendra peut-être un jour à relier à l’énigmatique Frère Luís de Santa Teresa, autour de Viana ; l’hypothétique maître de Labruja, enfin, dont l’art, champ du cygne du rococo minhote, prends rapidement un aspect périphérique.

Ce qui semble clair, c’est qu’il ne viendrait à personne l’idée de nommer le rococo minhote du nom d’un puissant comme on l’a fait pour l’art dit pombalin de la reconstruction de Lisbonne (que l’historiographie lui oppose erronément), alors que les adjectifs soaresque, vilacien et même désormais peut-être amarantin se présentent naturellement à l’esprit à l’évocation de ce petit miracle artistique qui a eu lieu pourtant pendant l’épiscopat de deux archevêques de sang royal, Dom José de Bragança (1741-1756) et son neveu, Dom Gaspar (1758-1788).


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